Rayss Lhaj Belaid, la voix éternelle du Souss

Un enfant du Souss aux origines modestes

Rrays Lhaj Belaid serait né entre 1872 et 1875 à Anou nʿAddou, près de Tiznit. Orphelin très jeune, il fréquente l’école coranique avant de devenir berger pour subvenir aux besoins de sa famille. C’est en gardant les troupeaux qu’il s’initie à la musique avec une flûte fabriquée de ses mains.

Son destin change lorsqu’il rencontre Sidi Mohamed Oussaleh, qui l’intègre à la communauté des acrobates Rrma du sanctuaire de Sidi Hmad Ou Moussa. Il y apprend le maniement du Ribab et du Luṭar, tout en découvrant la poésie.

Il fonde ensuite sa propre troupe avec Mohamed Boudraâ, Moulay Ali Souiri et M’barek Boulahcen. Le groupe sillonne les souks et les douars, attirant rapidement l’attention des notables, dont Thâmi El Glaoui, le puissant Pacha de Marrakech, qui l’invite à chanter dans ses palais.

Une passion pour la poésie et la musique

Installé à Tazerwalt, Lhaj Belaid perfectionne son art. Devenu ṛṛays (poète-chanteur), il gagne le respect de la société amazighe. Sa poésie, accompagnée du rebab, parle d’amour, de voyages, de nature et de la vie quotidienne. Simple et profonde, elle transmet une sagesse populaire toujours d’actualité.

Pionnier de la musique amazighe enregistrée

À la fin des années 1930, Rrays Lhaj Belaid accepte de graver une partie de son œuvre. En 1938, il devient le premier rrays à enregistrer au studio Pathé Marconi à Paris, puis pour Baïdaphone. Cet événement marque un tournant : la musique amazighe, jusque-là transmise oralement, entre dans l’ère moderne.

Ses disques, aujourd’hui très recherchés par les collectionneurs, préservent un patrimoine unique. Parmi ses titres célèbres figurent : Atbir umil, Bnyeqqob, Amuddu n lħijj et Ṭṭaleb, toujours repris par les artistes contemporains.

Une voix du peuple et pour le peuple

Artiste du peuple, Rrays Lhaj Belaid chantait l’exil, les bouleversements sociaux, la beauté de l’Atlas ou encore les douleurs de l’amour. Sa poésie reflétait fidèlement les émotions et les luttes de ses contemporains.

Les témoignages de ceux qui l’ont vu sur scène parlent d’une intensité inoubliable. Sa troupe fascinait les foules, et chaque prestation devenait une véritable expérience collective, gravée dans la mémoire des spectateurs.

Un héritage culturel vivant

Aucun autre artiste amazigh n’a connu de son vivant une renommée comparable à celle de Rrays Lhaj Belaid. Figure tutélaire de l’art des Rrways, il reste plus de soixante-dix ans après sa mort en 1945 un père spirituel pour les artistes amazighs. Rrays Mohamed Albensir le décrivait comme « la source inépuisable de la poésie ».

Les chercheurs confirment son statut unique. Des ethnographes français tels que Prosper Ricard et Léopold Justinard le présentent comme « le plus réputé » de son époque, le décrivent en chef de troupe et poète de cour, et publient même la traduction d’une de ses chansons dédiées au Caïd Gouddaf.

Un phare pour l’âme amazighe

Décédé vers 1945, Lhaj Belaid laisse un héritage immense. Considéré comme un fondateur de la musique amazighe moderne, il demeure un patrimoine vivant pour le Sud marocain et au-delà. Festivals, monuments et conservatoires témoignent encore aujourd’hui de l’amour et du respect que lui voue son public.

Plus qu’un artiste, il est devenu une mémoire chantée, un phare pour l’âme amazighe. À travers ses poèmes, il a exprimé les douleurs et les beautés du Souss, tout en inspirant l’avenir.

Son nom continue de briller dans le firmament culturel marocain, rappelant que de la simplicité et de la douleur peut naître une œuvre éternelle, portée par l’amour d’une terre et de son peuple.

Source : L'art des RRWAYS : Voyage dans l'univers des RRWAYS - Brahim MAZNED

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